Éditorial - Les privilèges de l'anglosphère

2021septembre250VERSION PDF

Les jeux sont faits. Quand paraîtront ces lignes, le sort du gouvernement sera scellé. Comme la politique du pire reste toujours la pire des politiques, il faut souhaiter, en ces jours de campagne, que le Bloc québécois fasse bonne figure malgré ses turpitudes et ses incohérences et que le gouvernement soit minoritaire. Mais ce ne sera pas et cela n’aura jamais été qu’un réalisme tactique. Sur le fond des choses, le gouvernement du Canada reste et restera plus que jamais un gouvernement étranger, tout entier acquis à une implacable logique d’état unitaire. Au mieux, un gouvernement minoritaire plus ou moins entravé par un Bloc québécois déterminé ne fera que ralentir un processus irréversible, celui de la minorisation définitive de notre peuple, sa folklorisation sous la rhétorique bienveillante d’une engeance bien représentée par les Mélanie Joly de ce monde. Au pire, un gouvernement majoritaire, peu importe sa couleur, procèdera sans vergogne.

Les Québécois ne veulent pas l’entendre, les analystes détournent le regard et les politiques préfèrent ne pas trop attirer l’attention sur ce qui constitue l’horizon du multiculturalisme canadian du Canada postnational : un immense projet de faire de l’immigration la voie identitaire par excellence. Une voie drapée dans la pseudorationalité économique, mais une voie parfaitement en phase avec le projet d’en finir une fois pour toutes avec la question française. L’ambition de porter à cent millions d’habitants la population du Canada par une intensification radicale de l’immigration telle que l’a fixée la Century initiative constitue la grande référence de l’élite acquise à l’idée de placer le Canada à la fine pointe de la mondialisation. Les principaux ténors de ce projet sont aux commandes des plus puissants leviers de façonnement de l’économie et des politiques publiques du Canada. Les Québécois, toujours prompts et dispos à se laisser abuser, n’ont pas tenu pour significative l’adhésion à ce projet du dirigeant de leur Caisse de dépôt, Michael Sabia. Il n’est plus en poste, ayant choisi de retourner jouer un rôle plus direct dans l’orientation du Canada postnational et dans son élite au pouvoir, mais sa marque est faite.

C’est pourtant clair comme de l’eau de roche : un Canada à cent millions d’habitants, dopé à l’accueil de plus d’un demi-million d’immigrants par année ne laissera plus aucun espace au Québec. Son poids relatif baissera de plus en plus vite, entraînant dans son mouvement une influence politique réduite à la caricature. Déjà qu’il est en passe d’en détruire toute pertinence et légitimité. Faut-il revenir sur la nomination d’une potiche de plus comme représentante de la reine et admirable exemple que l’indirect rule est infiniment recyclable dans le multiculturalisme ? Mais il coulera des torrents de balivernes pour continuer de minimiser les faits. Des dizaines et des dizaines des bonimenteurs continuent de se bousculer au portillon pour pérorer dans l’univers médiatique à grands coups de chroniques et de savantes dissections de l’insignifiance résignée.

Ces élections n’auront servi qu’à rendre encore plus opaque la lecture de la conjoncture qui se dresse à l’aube des débats sur le projet de loi 96, cette bluette que le gouvernement Legault voudrait nous faire prendre comme un Grand Œuvre. Pauvre Camille Laurin, rien n’épargnera même sa mémoire, surtout pas la politique compensatoire et la pensée résignée. Il y a quelque chose de profondément affligeant de voir les figures de proue de la CAQ se disputer la place d’héritier de Jean-Jacques Bertrand. Le projet de loi 96 n’aura pas plus d’avenir que le Bill 63. Il s’abolira de lui-même, érodé par les faits et un contexte historique qui ne laissent même plus la possibilité de s’illusionner.

François Legault et son gouvernement voudraient faire croire que le compromis pragmatique ne doit pas être confondu avec la démission politique et le consentement à la minorisation. Peut-être même tentent-ils de se le faire accroire devant le vertige que leur donne l’ampleur de la tâche. Le projet de loi 96, il ne faut point se tromper, c’est le révélateur de l’inanité de la posture politique de la CAQ. Il n’y a pas d’autonomisme possible dans ce que le Canada a choisi de devenir et surtout, à la vitesse où il a choisi de poursuivre ses idéaux. Les quelques aspects positifs du projet de loi, les quelques éléments de conquête de droits ne porteront à conséquence que lorsque la réalité en aura ruiné la portée : ils ne seront qu’une illustration de plus que le droit est en retard sur la société.

Pour que le projet de loi 96 ait une quelconque portée dans le réel, dans le Canada réel tel qu’il détermine l’espace politique du Québec, il faut qu’il s’attaque à l’architecture institutionnelle qui lui fournit les leviers de neutralisation des principes et des ambitions rhétoriques de toute politique linguistique québécoise. C’est la leçon ignorée de la loi 101 : sans la réunification sous une seule configuration nationale des grandes institutions du monde de l’enseignement, de celui de la santé et des affaires sociales de même que de la justice, la loi laisse à ses adversaires les plus puissants outils de neutralisation de ses objectifs. Le Québec vit dans un régime linguistique et culturel totalement dualisé.

Sous couvert de respect des droits de la minorité anglophone, la législation linguistique a confondu l’aménagement des conditions avec le maintien d’enclaves qui ont fourni des leviers d’une redoutable efficacité pour masquer un fait démographique majeur : la minorité historique anglophone n’a tout simplement plus la démographie pour soutenir ses institutions qui ne peuvent se maintenir qu’au prix d’un détournement des objectifs de francisation de l’immigration. Les institutions qui ont été et sont toujours considérées comme des cadres de respect de la minorité sont en fait maintenues, avec la complicité active de l’État, par des immigrés anglicisés et des francophones contraints et consentants à y œuvrer en anglais.

Les gouvernements se réclamant de la loi 101 n’ont jamais tiré les conséquences de la démographie. Ils ont laissé se déployer d’abord, et soutenu par la suite l’essor d’une logique de développement séparé, une logique de dualisation de l’architecture institutionnelle qui rend possible l’expansion de la minorité anglicisante. Le projet de loi 96 continue de le faire et c’est pourquoi il constitue un véritable leurre. Il laisse en place toutes les voies de contournement de ses objectifs.

Pour servir la volonté de faire du français la langue officielle et commune, il faut s’assurer que l’ensemble des institutions qui soutiennent la socialisation des locuteurs et l’usage de la langue soit soumis à une logique de développement cohérent reposant sur l’universalité des principes et de leurs conditions d’application. Cela n’a jamais été le cas et ne l’est toujours pas dans ce projet de loi. Faire du français la langue officielle sans viser à faire du Québec une société intégralement française c’est se payer de mots.

Il était aberrant de céder 50 % de l’enveloppe budgétaire au CUSM pour consacrer le bilinguisme institutionnel dans le domaine de la santé. Il reste aberrant de laisser McGill sévir en Outaouais avec un satellite de faculté de médecine qui anglicisera et la formation et les services. Il est aberrant de donner le site du Royal Victoria à une université privée pour consacrer l’hégémonie de McGill sur le centre-ville de Montréal et sur le système universitaire québécois. Il est aberrant de laisser cette même institution asseoir son développement sur le recrutement de dizaines de milliers d’étudiants étrangers qui n’auront cure des dispositions linguistiques lorsqu’ils occuperont le centre-ville et logeront dans des résidences étudiantes que le don du Royal Victoria aura permis de financer et bâtir.

Il est également aberrant d’avoir laissé Dawson devenir le plus gros cégep du Québec. Une institution censée servir le respect des droits de la minorité est devenue le plus flamboyant symbole de l’absurdité de nos politiques démissionnaires. Cela franchira le seuil du délire névrotique avec le financement de son expansion à hauteur de 100 millions pour en consacrer l’hégémonie sur le système collégial. Ce n’est plus offrir une voie de formation pour la minorité anglophone, c’est consacrer les moyens de s’affranchir du Québec français. Une voie qui sera d’autant plus attrayante que le surfinancement des universités anglophones leur confère d’ores et déjà des avantages qui déclassent les universités françaises et condamnent la formation universitaire en français à devenir une voie de relégation.

Il est aberrant de laisser Ottawa augmenter et accroître ce surinvestissement au point de consacrer des iniquités fiscales aussi scandaleuses que feutrées. C’est avec l’impôt de l’ensemble des Québécois qu’Ottawa finance le creusement des écarts entre les institutions et favorise le découplage des institutions anglophones des réalités et de la logique de développement de l’intérêt national du Québec. C’est injuste pour les universités et cégeps des régions québécoises que cela condamne à ne plus être que des centres de service pour les populations résiduelles de régions dont le développement et les intérêts n’ont aucun écho dans ces institutions anglaises affranchies de la nécessité de servir le Québec comme totalité.

Le projet de loi 96 reste un projet de minoritaires cocus. Par son refus de réserver l’enseignement collégial en anglais qu’aux seuls ayant droit prévus dans une loi déterminée à faire en sorte que 90 % des étudiants du collégial soient formés en français, le gouvernement défera dans les faits ce qu’il affirmera dans ses déclarations de principe. Par son consentement à renforcer les privilèges de McGill et par l’aliénation du patrimoine public au service d’une université d’ores et déjà en voie de désaffiliation radicale et déjà devenue une entreprise commerciale utilisant les étudiants étrangers pour s’émanciper des choix de l’Assemblée nationale du Québec, ce projet de loi induit les Québécois en erreur. Il ne leur donne pas le portrait exact de la réalité institutionnelle et des enjeux démolinguistiques et culturels.

Par son refus et par l’omission de changer radicalement l’architecture et le régime linguistique du système de la santé, ce projet de loi trompe les Québécois en maintenant une logique de développement séparé qui consacre et renforce les privilèges de l’anglosphère. C’est le gouvernement du Québec lui-même qui torpille le français au travail : il est le plus gros employeur exigeant le bilinguisme dans la métropole, grâce aux bons offices des libéraux qui ont par voie législative imposée des postes bilingues là où ils ne sont pas requis. Mais on sait le souci qu’avait Philippe Couillard d’imposer l’anglais dans les usines de Saguenay au cas où un investisseur anglais passerait par là…

Au cours des prochains mois, un immense effort de mobilisation sera requis pour faire voler en éclat le vernis que ce projet de loi tente d’appliquer aux privilèges de l’anglosphère. Il faudra revenir inlassablement sur les faits, sur la dure réalité que construit l’allocation des ressources publiques à l’autominorisation à laquelle consent ce gouvernement et une trop grande partie d’une élite qui refuse de plus en plus ouvertement de faire sienne la construction du Québec français.

La volonté de vivre triomphera, quoi qu’en disent les résignés, les snobs apatrides et les affranchis de la destinée nationale. Elle triomphera sans quoi le pharisianisme linguistique nourrira des tensions sociales délétères. Un peuple ne régresse pas dans l’honneur et la dignité. Le projet de loi 96 ne servira qu’à exacerber tôt ou tard les contradictions qui marqueront le devenir des institutions aussi bien que la vie quotidienne sous l’empire du mépris qu’alimentera le refus de s’assumer.

À moins que le gouvernement Legault ne soit ramené à sa responsabilité historique. À moins qu’il n’abandonne le rôle de notable provincial pour le statut d’homme d’État et de leader historique. En est-il capable ? En a-t-il la volonté et l’ambition ? Il est encore temps pour lui de se ressaisir.

La décennie qui vient sera déterminante : la démographie est impitoyable et ses tendances lourdes laissent bien voir que les choix du gouvernement Legault sont susceptibles de fixer le sort de Montréal et, de là, de consacrer la folklorisation du Québec. Et dire qu’il a même renoncé à sa promesse de réduire les seuils d’immigration…

Ce gouvernement doit comprendre que l’enjeu n’est pas de ralentir le déclin, mais bien de l’endiguer. Rien ne lui sert de tenter de se consoler en portraiturant en extrémistes ceux et celles qui lui rappellent que la minorisation ne constitue pour aucun peuple une voie de développement. Rien ne marquera tant le passage de François Legault au pouvoir que le choix qu’il exercera pour le dépassement ou la défilade. L’Histoire est d’ores et déjà en train de faire bouger les plateaux de la balance.

Puisse l’automne qui vient lui donner une plus claire conscience de sa responsabilité nationale.

 

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